Jeu est un autre. La citation de Rimbaud n'est pas exacte mais convient tout à fait à la comédie. Jouer au théâtre, c'est
incarner un personnage. La préparation d'un comédien commence par le choix d'un ou plusieurs personnages et par la sélection des gestes et du phrasé qui correspondent. Être comédien à la
différence du simple jeu d'acteur s'appuie sur les artifices de la scène de théâtre. Alors qu'au cinéma, l'acteur est casté en fonction de son physique et de ce qu'il dégage, le comédien peut
incarner tout un chacun.
Mon expérience de comédienne au lycée m'a permis d'incarner des personnages des plus diverses. J'ai réussi à faire croire que
j'étais une petite fille de 3 ans alors que j'avais le corps d'une femme, une sexy infirmière alors que j'ai des rondeurs, voire même une femme heureuse et amoureuse, alors que je n'étais qu'une
adolescente torturée et malheureuse.
Un personnage se définit par une gestuelle et par un langage. Pour rentrer dans la peau d'un petit bébé, il fallait commencer par
se mettre à son niveau. Se déplacer à quatre pattes, être curieux de chaque chose qu'on découvre pour la première fois, s'amuser de peu ou encore balbutier quelques mots... Pour définir une femme
sexy, on peut utiliser le regard, la démarche, les vêtements.
Lors de la création d'une pièce se déroulant dans l'ambiance d'un cabaret parisien dans les années 1930, les personnages ont été
définies en commun. Les autres ont décrit mon personnage en fonction de ce que mon physique les inspirait. Je suis devenue une femme d'âge mûr, blasée et croqueuse d'hommes. Cette description m'a
surprise et flattée. Au final, incarner un personnage inspiré de ce qu'on dégage simplifie le jeu. Sous-entendu, être acteur s'appuie déjà sur une présence. Dans ce cas, le corps est moins un
outil qu'un instrument. L'acteur ne se sert pas de corps pour donner forme au personnage alors qu'un comédien modèle son corps en fonction du personnage. C'est-à-dire que sur une scène de
théâtre, on peut jouer une plante verte alors qu'au cinéma, un acteur joue un humain qui lui ressemble.
Mon expérience de tournée théâtrale m'a permise d'incarner dans une même pièce de nombreux rôles différents. La troupe se
composait de trois comédiens et deux intendants. Un des comédiens était l'auteur de la pièce et le moteur de toute cette aventure. J'ai pu donner des conseils de mise en scène. Sur scène,
j'incarnais une fleur, un voleur, un russe, une poissonnière marseillaise et bien d'autres personnages. Quel plaisir de voir les sourires des jeunes spectateurs et de récolter des fonds pour un
centre d'handicapés. Passer d'un personnage à un autre se basait sur le changement de costume et se développait avec la voix et la gestuelle. Comment imaginez-vous une petite fleur qui parle?
Mimi, non? Une petit voix aiguë, des gestes doux voire timides et un visage gentil et généreux. Et un voleur méchant? Cape noire, épaules recroquevillées, un masque, une voix rauque et des gestes
agressifs! Radical comme changement, et plutôt agréable, je l'avoue.
Ne reste-t-il un peu du personnage en nous quand on sort de scène? A la fin d'un spectacle, j'ai toujours un moment
d'euphorie. C'est un mélange de trac, de plaisir et de satisfaction. Le personnage n'est plus présent en moi. Mais je ne saurai pas trop expliquer le processus pour quitter celle que j'étais
quelques minutes plus tôt. Les applaudissements y sont pour beaucoup. Ils marquent la fin.